Le 12 mai 1940, en partance pour Dunkerque, un convoi militaire anglais s’arrête sur la Grand-Place de Roubaix. De l’arrière d’un camion bâché descendent un couple et ses trois jeunes enfants (10, 7 et 3 ans). Les camions repartent ; la famille Winischki, allemande de confession juive, ignore encore où elle se trouve !
Ils ont fui l’Allemagne, en septembre 1938, quelques semaines avant la Nuit de cristal. Durant près de deux ans, ils vivent séparés, en Hollande, en Belgique. Arrestations aux frontières, transit par les camps, évacuation sous les bombes de Belgique en France.
Accueillis par les Sœurs de la Sagesse, les Winischki font la connaissance de Léon Coghe (arrière petit-cousin du peintre Rémy Cogghe), un policier qui a refusé de signer son attachement à Vichy. Muté à la police municipale, en charge des cantonnements, il gère les logements vides de la ville.
Hitler effectue alors dans la région un pèlerinage sur les lieux où il a combattu en 14-18, face à Churchill, qui comme lui, peignait églises, fermes et environs. Hitler décide que le Nord-Pas de Calais – zone interdite - sera rattaché à Bruxelles. Les Allemands s’installent, l’occupation commence. Mêmes lieux, mêmes noms que durant l’occupation de 14-18 : von Falkenhausen à Bruxelles, Hoffmann à Roubaix…
La résistance s’instaure. Une sage-femme de l’hôpital de Wattrelos, Jeanne Huyghe, héberge des militaires britanniques. Henri Duprez, un industriel de la métropole, crée un mouvement - La Vraie France - qui permet le passage vers Marseille de 2 000 réfugiés.
Avec le Pasteur Pasche, un Suisse responsable de la communauté protestante de Roubaix (La Solidarité) aidé de pasteurs allemands antinazis et de la complicité de Carlo Schmid, futur co-fondateur du SPD, tous des militaires de la Wehrmacht en poste à l‘Oberfeldkommandatur 670 de Lille, ils créent l’Aide judiciaire, qui vient en aide aux « prisonniers », montent une cuisine au cœur de la prison de Loos qui sert une soupe quotidienne aux détenus, et obtiennent la libération de 400 prisonniers juste avant le départ du train… Ils sont aussi à l’origine de l’aide apportée aux réfractaires…
Léon Coghe est un proche du Pasteur Pasche. Membre du WO, il a ses entrées à la Kommandatur. Il subtilise des cartes d’alimentation, fournit de faux papiers, et protège les Winischki qu’il fait déménager à 13 reprises. Par une filière il fait passer en Suisse le père et son fils. Mais la mère et ses deux filles sont victimes d’un passeur dans le Doubs. Recueillies par une vieille femme, Maria Corbat, elles échappent de peu à l’arrestation. Revenues à Roubaix, Coghe et Pasche les cachent jusqu’à la Libération. Avec la complicité de Simone Caudmont, l’intendante du Lycée Fénelon, Huguette, la plus vieille des filles, est admise comme interne à Lille.
En suivant les pérégrinations des Winischki, leur lutte pour survivre, leurs peurs, leurs espoirs, on plonge dans la réalité du moment, on revisite certains évènements : le 14 juillet 1941 au cimetière du Crétinier à Wattrelos, la population brandit drapeaux tricolores et Union Jack pour rendre hommage aux militaires britanniques enterrés là. Les autorités allemandes interviennent, prennent 20 otages. Puis, on croise le Capitaine Michel fondateur du WO qui s’étoffe avec bon nombre de Wattrelosiens tel Arthur Malfait qui devient l’un des responsables du réseau. Neuf Wattrelosiens participent au sabotage de l’usine de Fives-Lille, Henri Bracaval (de Wattrelos) mène les sabotages ferroviaires, Malfait sabote les voies fluviales et Maxence van der Meersch qui a précédemment reçu la visite de la Gestapo, chez lui quai des Alliés à Tourcoing, aide un batelier dont la péniche va être coulée, etc.
On évoque les premiers journaux clandestins, Les Petites Ailes de Jacques Yves Mulliez (futur journal Combat), voire les désaccords entre divers mouvements. Au début certains imaginent une complicité entre Pétain et de Gaulle… Alors que Maurice Thorez passe en pantoufles et le pot de lait à la main la frontière du Risquons-Tout pour se rendre, incognito, à Moscou via la Belgique (pacte germano-soviétique oblige), le maire communiste d’Halluin s’engage de suite dans la résistance armée et le paie de sa vie.
On croise les Nautour, Catrice, Dumez. On découvre le fonctionnement d’un réseau d’évasion qui subit la trahison du lieutenant anglais Harold Cole (alias Paul Delobel) qui fait monnayer les passages vers Marseille avant de livrer le réseau d’Henri Duprez qui conduit à la mort les époux Pieters de Roubaix, l’abbé Carpentier, etc. Après avoir collaboré avec la Gestapo, Cole travaillera avec les Américains avant d’être abattu à Paris, et reconnu par Pat O’Leary dont le réseau a eu à souffrir de cet agent de l’Intelligence Service qui se révèle n’être qu’un déserteur de l’armée britannique… Et c’est à Wattrelos, dans l’épicerie de Paul Vanalderweldt place du Laboureur que se réunissent le futur préfet du Nord et autres responsables de la résistance qui auront à assumer l’Etat à la libération.
La trame ainsi développée permet de resituer les évènements dans le contexte de l’époque : la tragédie d’Ascq, les camps en France, Belgique, les résistants de dernière minute et leurs bavures, ainsi qu’une esquisse des personnages tels Pasche et Coghe. Rencontre improbable entre un pasteur venu de Suisse qui a étudié avec Karl Barth chassé par Hitler qui voulait régenter l’Eglise d’Allemagne. Mouvement socialisant protestant dont l’une des figures marquantes est, à Fives-Lille, le Pasteur Nick, la Solidarité s’implante à Roubaix à la fin du XIXè avec Elie Gounelle. Ce mouvement, né de la Trinité de Nîmes (avec notamment Charles Gide), travaille avec Le Sillon. La Solidarité (toujours active) s’installe Bd de Belfort à proximité de la Rue des Longues Haies (Quand les sirènes se taisent…).
Léon Coghe est d’abord trieur de laine, fils de trieur de laine, issu d’une famille originaire des Flandres venue travailler dans les usines textiles de Roubaix. L’usine à 12 ans et les cours du soir pour sortir de sa condition ouvrière. Henri Duprez, industriel qui dès 1928 accorde une semaine de congés payés à son personnel, finance sur ses biens personnels son réseau et devient le responsable du Mouvement de Libération Nationale.
Tout s’implique et donne un relief particulier au récit qui conte la rentrée des classe au Lycée de Jeunes filles de Roubaix en septembre 1945. Huguette Winischki et son amie Edith Pieters (fille du couple de résistants fusillé et déporté) et toute la classe, chantent ensemble, en pleurs, la Marseillaise.
Les liens entre les protagonistes ont perduré. La famille Winischki, réunie seulement en 1947, s’est reconstruite à Roubaix, ville qu’elle a quittée en 1975 après avoir créé Paris-Chic un magasin de confection rue de l’Alouette. Les enfants Winischki sont encore et toujours en rapport avec les enfants Coghe (tous octogénaires). Huguette la fille aînée (qui a travaillé avec le Rabbin Daniel Farhi) a fait reconnaitre « Juste parmi les Nations » Léon et Germaine Coghe, le Pasteur Pasche, Maria Corbat, la paysanne du Doubs et Simone Caudmont l’intendante de Fénelon, qui ont constitué le réseau de sauvetage de sa famille.
Jean-Noël Coghe
Justes, un réseau… Le Nord sous la botte nazie.
224 pages, 70 illustrations env., 13,5 €, collection Patrimoine et histoire régionale, mars 2011 aux éditions Ravet-Anceau.
ISBN : 978-2-35973-142-2
http://www.ravet-anceau.fr
Un "plus" pour faire comprendre, pour autant que ce soit encore nécessaire, le pourquoi de la présentation sur ce cite de l’ouvrage de JNC, hormis la qualité intrinsèque du livre... Rick Grech !
Extraits...
« ... Enfin, elles sont dirigées vers le camp d’hébergement,
déjà surchargé, où plus de trois mille cinq cents personnes croupissent.
C’est là, sous la tente, que Katarina donne naissance, le
1er novembre, à un garçon dont le prénom « Oreste », en cyrillique,
se métamorphose en « Richard . »
Dans le même temps, les soubresauts qui secouent les pays de
l’Est provoquent un flux massif de réfugiés, notamment en provenance
d’Ukraine. Des populations traumatisées, confrontées
aux horreurs de la guerre, avec leur cortège de peurs, d’angoisses,
d’exécrations.
Chassées, dépouillées, déplacées ou décimées,
elles subissent les combats, les haines, les exactions. Les Allemands les ont déportées en Alsace, massivement, pour un
travail obligatoire dans les fermes.
À la fin de la guerre, libérées, elles ne peuvent se résigner à rejoindre leur pays soviétisé. La France décide de les accueillir. Il faut des bras, de la maind’oeuvre pour reconstruire le pays.
Le convoi humanitaire qui arrive en gare de Bordeaux répand sur
le quai son flot d’émigrants dans un étrange silence que rompt le
coup de sifflet strident d’une locomotive. Un haut-parleur saturé
lance une annonce toujours incompréhensible. Des femmes portant
un petit chapeau blanc frappé d’une croix rouge accueillent
ces êtres perdus, déboussolés.
La fin du voyage ? La fin du cauchemar ?
Septembre 1945. Visages tirés, regards hagards, vêtements fripés,
déchirés, serrant contre elles des enfants hébétés, trop faibles
pour crier ou pleurer, portant pour tout bagage des valises éventrées,
rafistolées, des cartons mal ficelés, des femmes éplorées
foulent le quai bordelais, synonyme de liberté.
Barbara, le ventre déjà rond, soutient son amie Katarina, enceinte de sept mois. Comme d’autres, certaines victimes de viols.
Les unes derrière les autres, dans une colonne dépenaillée, elles supportent les formalités d’accueil. Sommaires puisque personne ne parle le français. Enfin, elles sont dirigées vers le camp d’hébergement,
déjà surchargé, où plus de trois mille cinq cents personnes croupissent.
C’est là, sous la tente, que Katarina donne naissance, le
1er novembre, à un garçon dont le prénom « Oreste », en cyrillique,
se métamorphose en « Richard ».
Barbara, elle-même devenue Ahafia par la volonté d’une traductrice polono-allemande débordée, accouche en décembre d’un garçon que l’on prénomme Stéphan. Tant bien que mal, la vie s’organise. Dans les mois qui suivent, les réfugiés sont répartis à travers la France. Les deux femmes sont envoyées avec quelques-uns de leurs proches dans
le nord de la France. On les implante à Roubaix, dans une usine
textile désaffectée. Rue du Nouveau-Monde ! Elles qui rêvaient
de rejoindre les États-Unis ! De vastes salles, froides, sans commodités.
Les familles se regroupent, se constituent, s’efforcent de
s’installer tant bien que mal. Des caissettes de fruits et de légumes
servent à aménager, à délimiter des emplacements où les ménages
tentent de préserver un semblant d’intimité. Pour chauffer le
lait des gosses, il n’y a qu’une casserole, utilisée par cinq ou
six familles, à tour de rôle. En cette période d’après-guerre, la
France embauche.
Les deux femmes trouvent rapidement un travail
d’ouvrières à La Lainière.
L’hiver est rude. Les deux femmes se rendent au petit matin, dans la froidure, à l’usine. Elles ne sont guère couvertes et ne possèdent pas de chaussures. Elles marchent nus pieds sur les pavés gelés. Les mois, les années vont défiler.
Les conditions de vie, s’améliorent. Richard grandit et vit à Roubaix
jusqu’à l’âge de 15 ans.
Puis, il part s’installer avec sa mère en Grande-Bretagne.
Ce musicien en herbe devient, sous le nom de Rick Grech, le bassiste du groupe Family avant de rejoindre Eric Clapton, Stevie Winwood et Ginger Baker au sein du supergroupe Blind Faith.
Jean-Noël Coghe
Extraits de Justes, un réseau… Le Nord sous la botte nazie.
- Family au 140 - 1970 - Archive Patfraca - Cette image ne figure pas dans le livre de JNC et illustre uniquement cet article.
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